Inconnue, oubliée. Enfouie dans un silence de décennies sans être jamais exposée, l’oeuvre d’Émile-Théodore Frandsen (1902-1969) se présente avec le visage d’étrangeté d’un théâtre abandonné après le dernier spectacle. Et cet univers où, d’un oeil étonné, on pénètre, révèle une confession murmurée, une intimité mise en scène. Ici, un rideau s’ouvre et s’écarte ; ailleurs, un autre se referme. Parmi le drame et le tumulte, parmi la gaîté et l’ivresse, défilent masques et personnages costumés – Arlequin ou Pierrot – d’une comédie, d’un drame et d’une tragédie tour à tour. La notion de théâtre paraît qualifier justement le travail de l’artiste dans lequel, demeuré seul et à l’écart du monde de l’art, il avança presque à secret, trempant ses pinceaux dans la matière de l’en-dedans, explorant à longueur de vie son théâtre : le théâtre de l’intime. La métaphore de la vie comme théâtre n’est pas neuve. Les vers de William Shakespeare, dans As You Like It, à quelques siècles de distance, résonnent : All the world’s a stage, / And all the men and women merely players; / […] / And one man in his time plays many parts.
S’il n’en a peut-être pas connu l’épanouissement dans le Paris d’après-guerre, son théâtre de l’intime est contemporain de celui de l’absurde, qui naît de la même source glaçante : l’expérience de la barbarie. Lui qui, durant la guerre, avait rejoint les Forces françaises de l’intérieur, n’a-t-il pas affirmé : « Au moment des bombardements de la débâcle de 1940, nous avions entassé des cadavres sans pouvoir rien faire. En face de ce charnier de civils presque aussi haut que moi, j’ai compris que nos valeurs avaient fait faillite… Il ne restait que l’Art. » Loin de penser qu’après Auschwitz il ne serait plus possible d’écrire un poème – ni de créer –, Frandsen emmajuscule le mot « Art » et le couronne ainsi d’un nimbe de sacralité, la quête de beauté étant devenue à ses yeux le dernier refuge de la dignité piétinée de l’Homme : l’Art pour moi, c’était un Culte ! / je le priais partout / les jours étaient trop courts – / j’ai bien payé la facture / de ma folie.